Yom Haatsmaout - Vive l’in(ter)dépendance (Vidéo)


Israël fête le 70eme anniversaire de son indépendance, en hébreu  Yom Ha-atsmaout. Il est intéressant de constater que le terme hébraïque de «  Atsmaout » est porteur d’un autre sens que le mot « indépendance ».



Il signifie littéralement le «  soi-même », dérivant du mot « atsmi » qui veut dire soi-même. On dira qu’il s’agit d’une simple nuance, mais nous, qui ne cessons de commenter la moindre lettre de nos textes anciens, devons être attentifs au sens du mot désignant notre fête nationale.

L’indépendance, nous dit le Petit Robert, est l’état d’une personne ou d’un groupe qui ne dépend de personne et n’est soumis à aucun autre organe ou collectivité. En ce sens, au 21eme siècle, y a-t-il un Etat qui peut être qualifié d’indépendant ? Le courant nationaliste et xénophobe qui s’impose un peu partout sur la planète et s’oppose à l’interdépendance globaliste, aspire précisément à l’émancipation de toute dépendance extérieure. On peut légitimement douter, à l’ère des échanges économiques planétaires et des réseaux de communications reliant les points les plus éloignés du globe, du réalisme d’une telle prétention. A moins, bien sûr, d’un repli sur soi et d’une limitation des échanges, ainsi que d’un contrôle des esprits et des moyens d’information.

La Torah ne parle pas d’indépendance, mais de sortie de la «  maison des esclaves ». Cette sortie, qualifiée dans la Haggada de «  Gueoula », est le prélude au don de la Torah. Nous sommes libérés du joug d’un pouvoir tyrannique pour être en mesure d’accepter la loi que nul pouvoir humain ne peut modifier ni abroger. Cette loi est imposée aussi bien aux individus qu’à la collectivité et à l’Etat. Un bel exemple nous est donné dans le Traité Tamid 31b. Le Talmud y rapporte un échange entre les Sages d’Israël et Alexandre le Grand.  Celui-ci leur demanda : Que doit-on faire pour se rendre populaire ? Réponse des Sages : Haïr le pouvoir et l’autorité. Et Alexandre de répliquer : J’ai une meilleure réponse que la vôtre : il faut aimer le pouvoir et l’autorité et en profiter pour accorder des faveurs aux gens.

Dialogue essentiel entre le conquérant, disciple d’Aristote et les Sages d’Israël  sur les limites du pouvoir et la tentation du populisme. Emmanuel Levinas, dans une lecture talmudique intitulée «Au-delà de l’Etat dans l’Etat»  y voit «dans ce refus du politique de pure tyrannie, les linéaments de la démocratie, c’est-à-dire d’un Etat ouvert au mieux, toujours sur le qui-vive, toujours à rénover, toujours en train de retourner aux personnes libres qui lui délèguent, sans s’en séparer, leur liberté soumise à la raison.»  La démocratie signifierait la dépendance réciproque du pouvoir et du peuple. Un pouvoir qui ne rendrait pas des comptes serait pure idolâtrie.

La Torah s’oppose également  à une autre forme de tyrannie, celle du conditionnement des esprits par la propagande et la démagogie, comme le montre bien l’épisode tragique de la révolte de Korah et de son assemblée. C’est là une forme insidieuse de dépendance, dont nous sommes souvent les victimes inconscientes.

Tournons-nous alors vers le terme hébraïque d’  «Atsmaout». Il apparait pour la première fois sous la forme nominale à l’occasion de la création de la femme.

D.ieu prélève un « côté »  de l’homme –« tsela »- terme que Rachi compare à un côté de l’autel des sacrifices,  et l’homme, s’éveillant de son sommeil, s’exclame : « Cette fois-ci, os (etsem) de mes os et chair de ma chair, celle-ci s’appellera Icha car de Ich elle fut prélevée. » Le mot « Etsem », traduit habituellement par «  os », est le radical du mot « Atsmaout » ! Autrement dit : l’homme n’est pas un être unilatéral. Il est lui-même dans la mesure où il est confronté à un autre côté de lui-même qui lui fait prendre conscience de ses limites et pour lequel il est prêt à sacrifier son indépendance  égoïste.

Etre soi-même n’est possible qu’à la condition d’accepter autrui dans sa différence et de nouer avec lui, ou avec elle, des liens d’interdépendance et d’enrichissement mutuels. Cela vaut pour la collectivité comme pour l’individu.

Etre soi-même ne signifie donc pas se replier et se complaire à soi-même mais s’ouvrir à autrui et découvrir l’autre au plus profond de de nous-mêmes. C’est ainsi que nous sortons de la stérilité de l’identité close et devenons féconds.

C’est bien ce que nous pouvons nous souhaiter en ce 70eme anniversaire : ouvrons-nous généreusement aux multiples visages de l’humain, et comme le dit magnifiquement Levinas : sachons « faire sortir le Désir de la prison de sa propre subjectivité et arrêter la monotonie de son identité ». (Totalité et Infini p.340).

Soyons fidèles à la Loi qui nous enjoint d’aimer l’étranger, la veuve et l’orphelin. Ainsi pourrons-nous-nous réjouir de notre Atsmaout retrouvée.

Rav Daniel Epstein - lphinfo.com



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