Kedochim - Tu aimeras ton prochain comme toi-même

La paracha Kedochim (Lévitique 19, 1 - 20, 27) commence par cette injonction : «Soyez saints, car Je suis saint, Moi, l’Éternel votre D.ieu.» A sa suite sont énoncées de nombreuses mitsvot (commandements) par l’accomplissement desquelles le Juif se sanctifie et établit un lien avec la sainteté de D.ieu.

Ces mitsvot incluent la prohibition de l’idolâtrie, la mistva de tsédaka (charité), le principe de l’égalité de tous devant la justice, le Chabbat, la moralité sexuelle, l'honnêteté en affaires, l'honneur et la crainte des parents, le caractère sacré de la vie.

C’est aussi dans la paracha Kedochim qu’est exprimé le principe que Rabbi Akiva qualifie de cardinal et dont Hillel dit « c'est là toute la Torah, le reste en est le commentaire » : aime ton prochain comme toi-même.

Quelles sont les limites de ce commandement ?

Tout d'abord, définissons ce que c’est que cet « amour » dont il est question. Il ne s’agit pas bien sûr d’aimer son prochain comme Roméo aimait Juliette ou comme les ours aiment le miel...
D’après nos Sages, aimer son prochain c’est savoir se mettre à sa place pour comprendre ce dont il a besoin et chercher à préserver son bien-être. Dans les mots de Hillel l’Ancien, « Ne fais pas à ton prochain ce que tu détestes qu’on te fasse. » Dans cet esprit, il est possible – et nécessaire – d’appliquer la devise « aime ton prochain comme toi-même » à toutes les créatures, à tout ce qui peuple les quatre règnes de la nature : le monde minéral, le végétal, l’animal et le monde des hommes.

Qu'est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire que je dois déceler en quoi une créature est « mon prochain », en quoi elle est « comme moi-même » et dans quelle mesure je peux « me mettre à sa place », et l'aimer en conséquence.
En quoi sommes-nous « prochains » des minéraux ?
Ils existent, tout simplement ! Tout comme nous, ils ont été créés par D.ieu dans un but précis connu de Lui. Le moindre grain de sable au fond de la mer à sa place dans le Plan divin et est indispensable à la bonne marche de l’univers.

Être « minéral », c'est être humble et effacé. Même devant un autre minéral. C'est ce que nous demandons à la fin de la 
amida : « Puissé-je être comme de la poussière envers toute chose », c'est-à-dire que je sois totalement inerte, tel un minéral, face aux tentatives de séduction du mauvais penchant qui peuvent être liées à tout ce que je rencontre.

Le côté minéral de l'homme, c'est son côté physique. Celui avec lequel il accomplit concrètement la volonté divine, ce qui constitue la véritable soumission à D.ieu.
« Aimer » un minéral – par exemple un caillou –, cela veut dire reconnaître et accepter qu'il a sa place dans ce monde. En effet, le caillou est muet, il reste coi, annulé, effacé devant la vérité divine.

En quoi sommes-nous « prochains » des végétaux ?
Ils grandissent. Comme nous, ils vivent, se développent et donnent des fruits pour perpétuer leur espèce. La Torah dit : « Ne détruis pas l'arbre fruitier, car l'homme est un arbre des champs. » (Deutéronome 20, 19).

Être « végétal », c'est développer un sentiment fort, car un sentiment croît de façon linéaire, et demeure à la même place, comme un arbre. (Car l'amour reste l'amour, l'aversion reste l'aversion, etc. Quand on détestait et qu'on se met à aimer, c’est que l'aversion est morte, déracinée, et qu’en son lieu et place, on a planté l'amour.)

Le côté végétal de l'homme, c'est son être émotionnel. Celui avec lequel il va aimer et craindre D.ieu, source de sa motivation dans le service de D.ieu. « Aimer » un végétal – par exemple un arbre –, cela veut dire 
éprouver un sentiment d'importance quant au développement de cette vie. La vie végétale est un processus, dans lequel j'ai le choix d'intervenir en bien ou en mal, ou de ne pas intervenir. Cela doit être pour moi important que l'arbre mène son existence à bien. Détruire pour construire, c’est construire. Mais détruire pour détruire, c’est dégrader la création de D.ieu.

En quoi sommes-nous « prochains » des animaux ?
Comme nous, ils sont conscients de leur existence et aspirent consciemment à assouvir leurs besoins. Pour ce faire, ils adoptent des comportements et des stratégies. Ils considèrent la situation et ses paramètres et s’engagent dans une démarche jusqu’à acquérir l’objet de leur désir. L'animal est conscient. Je dois incorporer à ma conscience, le fait que l'animal possède cette conscience.
Être « animal », c'est pouvoir se déplacer dans sa réflexion pour envisager les choses selon divers angles, selon divers points de vue, tout comme l'animal est mobile. Le côté animal de l'homme, c'est son être intellectuel. Celui avec lequel il va comprendre le divin et approfondir cette connaissance en déplaçant son angle de vue.



« Aimer » un animal, cela veut dire intégrer à sa réflexion, à sa planification d'une vie dans laquelle cet animal existe, le paramètre du bien-être de cet animal. Ainsi doit-on s’organiser pour nourrir ses bêtes avant même de nourrir sa famille, enseigne le Talmud. Ainsi doit-on veiller à ce que le couteau de che’hitah, l’abattage rituel, soit si aiguisé que l’opération est absolument sans douleur pour l’animal. En quoi les êtres humains sont-ils « prochains » les uns des autres ?

Tous les êtres humains partagent un besoin spécifique à la condition humaine : ils ont besoin d’être respectés, et de se sentir respectés.
« Aimer » un être humain, c'est lui accorder une importance en tant qu'individu, le respecter dans sa spécificité. Il ne s'agit pas d'aimer ou d'apprécier, cette spécificité. Si vous n'aimez pas lrap, on ne vous demande pas d'aimer le rap au motif qu'il existe des rappeurs. Il s'agit de respecter le fait que le rappeur voit, lui, un bien dans le rap. Il s'agit de reconnaître et respecter l'existence de ce bien chez autrui. C’est la base du « vivre ensemble » qui est le ciment de notre société.

[Toutefois, cela n’est pas toujours possible. Car si le mal n’existe pas dans la nature minérale, végétale et animale, il n’en est, hélas, pas de même de la nature humaine, dotée d’un mauvais penchant. Ainsi existe-t-il une minorité d’êtres humains qui ne se définit que par le mal et par la haine qu’ils vouent à untel ou untel. Difficile de respecter ces gens-là, ou de trouver quelque chose à « aimer »  en eux, si ce n’est l'étincelle divine qui, pour une raison liée au Plan divin, les crée et dont il convient d’avoir pitié.]

Être « humain », c'est comprendre que chaque chose a un rôle dans la création, que chaque chose a un sens. La souffrance d'un pauvre n'est souvent là que pour donner au riche l'opportunité de l'aider. Il faut savoir saisir les occasions et ne pas avoir un cœur de pierre, ne pas se transformer en saule pleureur, en chien peureux, ou en philosophe détaché devant la souffrance d'autrui. Il faut faire confiance à D.ieu qui nous a mis dans une position d'agir, et agir. Avec la fermeté du rocher et la fluidité de l'eau, avec la droiture du séquoia et la souplesse du roseau, avec la rapidité du guépard et la force du buffle, avec la responsabilité et la gentillesse de l'homme.
Le côté humain de l'homme, c'est son être moral et responsable. Celui avec lequel il va faire le Bien et repousser le Mal. Celui avec lequel il va s'associer à D.ieu.

Y a-t-il une spécificité juive à l’amour du prochain ?

Au-delà du respect et de la moralité, « aimer comme un Juif », c'est reconnaître, admettre, apprécier, comprendre, considérer qu'il y a quelque chose de divin en toute chose et en tout être. Et savoir que notre interaction positive avec cet être révélera ce potentiel et fera de cette chose un relais du divin au bénéfice de tous, contribuant ainsi à préparer le monde à l’avènement messianique.

Emmanuel Mergui - chabad.org

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