Dossier exclusif : Quand rien ne va plus - le Guet et les Agounot (1ère partie)


Le divorce selon la Halakha

Selon la Loi juive, un mariage n’est rompu que lorsque le mari donne à la femme un « acte de divorce », le guet. En effet nous pouvons lire dans  Deutéronome 24, 1 : Quand un homme aura pris une femme et cohabité avec elle ; si elle cesse de lui plaire, parce qu’il aura remarqué en elle quelque chose de malséant, il lui écrira un acte de divorce, le lui remettra en main et la renverra de chez lui.

On peut tirer deux enseignements importants de ce verset :

- lorsque sa femme lui déplaît, l’homme ne peut pas la chasser simplement de chez lui, il doit lui remettre un acte certifiant qu’il désire rompre le lien du mariage qui les unissait. En cela la Torah fait un progrès dans le sens de la protection de la femme. Le statut de cette dernière est clair et elle peut se remarier;

l’instauration de la ketouba ou contrat sera une étape supplémentaire dans la protection de la femme qui à l’époque talmudique était complètement dépendante d’abord de son père, ensuite de son mari. Lors du mariage le mari devra s’engager à donner à sa femme, en cas de divorce, une somme d’argent suffisante pour qu’elle puisse vivre un an, le temps estimé nécessaire à un remariage.

D’après ce verset biblique, la décision de divorcer est celle de l’homme et uniquement de l’homme, la femme n’a pas voix au chapitre en la matière. Ce point est à la base de l’inégalité fondamentale entre l’homme et la femme, en matière de mariage et de divorce, dans la Loi Juive. Selon la Halakha, le divorce est accordé et exécuté par le mari, selon sa décision. Un divorce n’est valable que si le mari donne le guet de plein gré. 

Lorsque la femme désire divorcer et que son mari ne le veut pas, elle doit présenter sa requête devant le tribunal rabbinique qui tentera d’obtenir un guet du mari si toutefois le tribunal rabbinique estime que la femme a des raisons « valables » pour demander le divorce.

Le problème des Agounot 

Malgré les mesures prises par les Sages pour la protection de la femme et pour une plus grande égalité, la loi de base reste inchangée jusqu’à nos jours, le divorce ne peut se faire qu’avec le plein accord du mari. Si le mari refuse de donner le guet à sa femme, ou si la remise du guet lui est imposée (guet meoussé) et n’est de ce fait pas valide, la femme reste « ancrée » à son mariage, elle est une agouna.


Selon la loi juive elle ne peut se remarier, toute relation sexuelle qu’elle aurait avec un autre homme est considérée comme une relation adultère et si elle a un enfant de cet homme tant qu’elle est légalement liée à son mari, cet enfant est considéré par la loi juive comme adultérin (mamzer) et interdit de mariage avec un/une autre Juif/Juive (à l’exception d’un autre mamzer et d’un converti) et ce pour dix générations ! Il est évident que toute femme tant soit peu liée aux traditions ne prendra pas sur elle de couper ses enfants à jamais du peuple juif. Elle va préférer ne pas prendre ce risque ; c’est ainsi que des dizaines ou des centaines de milliers de femmes sont prisonnières d'un mariage inexistant. 

Il est vrai que l'homme aussi reste un homme marié, tant qu'il n'a pas donné le guet à sa femme, ou dans des cas plus rares, tant que la femme n'a pas accepté ce guet. Mais la situation pour lui est différente : étant donné que la polygamie n’est pas interdite selon la Bible – comme nous l’avons vu cette interdiction est une décision rabbinique –, ses relations avec une autre femme, même si elles constituent une infraction, ne sont pas considérées comme adultères et les enfants d’un homme marié ayant eu des rapports sexuels avec une autre femme « libre » sont tout à fait « cacher » selon la loi juive.

Les solutions pour libérer les agounot

Lorsque le couple est séparé depuis un certain temps, quand il n’y a aucun espoir de rétablir la paix dans le ménage ou quand un divorce civil a été établi (lorsque le couple vit en dehors d’Israël), si le mari refuse de donner le guet à la femme, trois solutions s’offrent au tribunal rabbinique.

1 – L’imposition du divorce

Nous avons vu plus haut qu’un divorce imposé au mari n’est pas valide, la femme ayant reçu un tel guet reste « mariée » à son mari. Toute relation qu’elle aurait avec un autre homme est considérée comme adultère avec toutes les conséquences que cela comporte. Cependant, la Michna (Ketoubot 7:10) cite une série de circonstances dans lesquelles un tribunal rabbinique a le droit d’imposer le divorce à l’homme. Les cas envisagés par la Michna sont en général des situations où à cause de sa profession ou d’un problème physique le mari dégage une odeur insupportable à la femme. Dans de tels cas, le tribunal a le droit d’imposer le divorce au mari. 

Le Talmud ajoutera à ceci le cas où le mari refuse de subvenir aux besoins de sa femme. À partir du 12ème siècle de nombreuses autorités accepteront également d’imposer un divorce en cas de violence du mari.

2- Une transaction erronée 

La Loi Juive - les kiddouchine (première étape du mariage) sont considérés comme une transaction et sont sujets à toutes les lois des transactions. Dans une transaction, si un quelconque défaut est trouvé à l’objet de la transaction, celle-ci peut être annulée. Si l’homme découvre, après le mariage, un défaut chez la femme dont il ignorait l’existence, il a la possibilité de déclarer que ce mariage est une « transaction erronée » et le tribunal rabbinique l’annulera rétroactivement (Michna Ketoubot 7 : 8). 

Le Talmud (Baba Kama 110b) suggère que la femme aussi, si elle découvre un défaut chez son mari après le mariage peut déclarer « je ne me suis pas mariée pour [supporter] cela » et demander l’annulation du mariage.

3- L'annulation du mariage

Certaines autorités proposent que, pour libérer les agounot, dans certaines conditions, le tribunal rabbinique prenne sur lui d’annuler le mariage rétroactivement. C’est là un moyen différent de la méthode précédente. Il n’y a pas eu d’erreur dans la transaction, mais les rabbins utilisent leur pouvoir pour annuler le mariage (hafka’at kiddouchin)

Une telle possibilité est mentionnée cinq fois dans le Talmud dans le cas où le mariage avait été fait en contradiction avec la Halakha, ou bien lorsqu'un guet défectif avait été remis à la femme.  

À chaque fois le même principe est avancé : « toute personne qui se marie fait cet acte selon la volonté des sages, c’est pourquoi les sages ont l’autorité d’annuler un tel acte ». En d’autres termes, étant donné que le mariage est soumis aux lois de la Halakha, lois promulguées par les sages, ces derniers ont le pouvoir d’annuler le mariage s’ils estiment que cette loi n’a pas été respectée.

Après l’époque du Talmud, l’utilisation de cette méthode devint très controversée. De nombreuses autorités estiment que les tribunaux rabbiniques n’ont plus la même autorité et que l’annulation du mariage ne peut être appliquée que dans des cas exactement semblables aux exemples cités dans le Talmud. Bien entendu cela limite fortement les cas où l’annulation pourrait être utilisée. Et même dans des situations très semblables à celles décrites par le Talmud, l’expérience montre que les tribunaux rabbiniques n’utilisent pas la possibilité d’annulation par crainte de ne pas en avoir l’autorité.

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Mais à notre époque il est difficile d’ignorer le sort de ces milliers de femmes seules ou avec enfants, qui ne peuvent se remarier selon la Loi Juive à cause de la cruauté de leur mari. C’est pourquoi certaines autorités, disent que le Talmud donne des exemples, et à chaque génération les autorités rabbiniques doivent appliquer ces exemples aux circonstances actuelles. Ils proposent donc, dans des cas extrêmes, de renouveler l’utilisation de l’annulation pour libérer les femmes agounot.

Source de cet article L'équipe Tov Alliance

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